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L’importance accordée aux pseudo-sciences encourage une forme d’infantilisme psychosocial, affirme Serge Larivée. |
En tant que lieux privilégiés de la culture et du savoir, les librairies, les bibliothèques, la télévision et Internet encouragent le sous-développement intellectuel en offrant une gamme astronomique de produits pseudo-scientifiques plus ou moins nocifs pour l’intelligence.
C’est la critique sévère formulée par Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation, au terme d’une étude portant sur l’importance relative que ces médias et établissements accordent à la culture scientifique et au paranormal.
Dans les librairies, l’espace attribué à la panoplie d’ouvrages sur les pseudo-sciences est sept fois plus important que celui consacré à la littérature de vulgarisation scientifique.
Pour en arriver à cette observation, le professeur a visité pas moins de 56 librairies (dont 25 des réseaux Archambault et Renaud-Bray) réparties dans une dizaine de villes du Québec afin de mesurer au centimètre près les rayons occupés par ces deux types de lectures. Dans l’ensemble, chaque librairie accorde en moyenne près de 4900 cm de surface aux pseudo-sciences et environ 700 cm aux ouvrages de vulgarisation scientifique.
La catégorie des pseudo-sciences couvre ici un ensemble hétéroclite incluant les livres sur l’astrologie, le nouvel âge, le paranormal, la divination, les médecines parallèles et la «psycho-pop» à saveur ésotérique. La mesure des rayons est apparue comme le meilleur moyen d’évaluer l’importance prêtée à un type de littérature par une librairie et reflète l’état de la demande de la part du public.
«L’écart entre les deux genres est probablement encore plus grand puisque nous n’avons pas mesuré les présentoirs de best-sellers, où abondent les ouvrages de pseudo-science mais d’où, de l’aveu des libraires, sont absents les ouvrages de science», précise Serge Larivée. Et la tendance chez les libraires est d’augmenter la place accordée aux pseudo-sciences.
L’analyse, publiée dans le dernier numéro de la Revue de psychoéducation et d’orientation1, présente également la situation du côté de la littérature jeunesse. Ici, le portrait est diamétralement opposé: 10 fois plus d’espace est consacré aux ouvrages d’initiation à la science et aux technologies qu’à ceux traitant de «spiritualité nouvel âge».
Le professeur a dû s’en remettre à cette dernière catégorie, de laquelle il a exclu les religions traditionnelles, parce que les livres de pseudo-science comme tels sont absents de la littérature jeunesse. Cette absence s’expliquerait en partie par le fait que les enfants ne se posent pas les questions existentielles que les adultes cherchent à résoudre dans les pseudo-sciences.
Internet et télévision
Serge Larivée a aussi jeté un coup d’œil sur Internet. Une recherche sur les principaux moteurs a permis de repérer 700 fois plus de sites de pseudo-sciences que de vulgarisation scientifique, soit plus de 14 millions contre moins de 19 000. Mais ces chiffres peuvent être trompeurs puisqu’un même site «pseudo-scientifique» peut avoir été trouvé à l’aide de plusieurs mots clés alors qu’un seul terme a été utilisé pour la vulgarisation scientifique.
En ne retenant que les sites où l’on traite d’astrologie et ceux consacrés à l’astronomie, le chercheur a obtenu un rapport de 53 % pour l’astrologie contre 47 % pour l’astronomie. Ce rapport est du même ordre que ce qu’il a observé dans les bibliothèques municipales à l’aide des deux mêmes mots clés.
Dans son long éditorial de 33 pages, l’auteur cite en outre des études sur les corrélations entre le temps passé à écouter la télévision et les croyances au paranormal: plus on regarde la télé, plus on a tendance à croire au paranormal. Par exemple, alors que 37 % des Américains croient que l’astrologie est scientifique, cette proportion atteint 55 % chez les grands consommateurs de télévision. La corrélation est particulièrement manifeste dans le cas des habitués des émissions sur le paranormal, un lien qui toutefois peut être bidirectionnel.
Cet état de choses amène Serge Larivée à craindre un problème de développement intellectuel puisque la population s’alimente en général à ces médias pour s’informer.
«Les médias suivent la loi du marché: rentabilité économique oblige, souligne-t-il. Mais les lecteurs et les téléspectateurs encouragent à leur insu leur propre sous-développement en redemandant des produits plus ou moins nocifs pour l’intelligence. Se nourrir d’ésotérisme et d’approches pseudo-scientifiques à l’égard des problèmes de l’existence favorise une sorte d’infantilisme psychosocial dans la mesure où la maturité veut que l’individu apprenne à faire face à l’inévitable et à dépasser ses peurs», conclut le professeur.
Daniel Baril
1. «L’influence socioculturelle sur la vogue des pseudo-sciences», Revue de psychoéducation et d’orientation, vol. 31, no 1, 2002, p. 1-33.