Édition du 27 janvier 2003 / volume 37, numéro 18
 
  «J’ai mal; faites-moi rire!»
Simon Laliberté a cherché à savoir si l’humour soulageait la douleur.

 

Dans ses études aux cycles supérieurs en psychologie, Simon Laliberté est passé de travaux sur les agresseurs sexuels à une recherche empirique destinée à évaluer l’effet de l’humour sur la douleur. 

Les gens qui souffrent de douleurs chroniques les supportent-ils mieux s’ils rient plus souvent que d’autres personnes aux prises avec des problèmes similaires?

C’est la question à laquelle a voulu répondre Simon Laliberté dans une thèse de doctorat en psychologie déposée récemment. «Le bon sens dicte que l’humour aide à surmonter les difficultés, affirme-t-il. Je l’ai moi-même constaté dans un hôpital où je travaillais en Colombie-Britannique. Les patients qui parvenaient à rire de leur déconvenue semblaient guérir plus vite. J’ai voulu en avoir le cœur net.»

Pour expérimenter l’effet de l’humour sur la douleur, il a procédé selon la bonne vieille méthode scientifique. Il a placé une quinzaine de volontaires devant des téléviseurs qui diffusaient les épisodes les plus burlesques de La petite vie ainsi que des monologues de nos meilleurs humoristes.

Pour établir des comparaisons, il a invité un autre groupe à regarder un reportage de Découverte sur les bélugas. Puis il a recueilli les commentaires des sujets. Résultat? Rire fait du bien, mais ne semble pas atténuer la douleur chronique. En tout cas, pas de façon observable. C’est ce qui ressort de l’aspect expérimental de l’étude du psychologue. Pourtant, ces mêmes personnes croient fermement que, de façon générale, l’humour les aide à passer à travers leurs problèmes. C’est ce qu’ont révélé les questionnaires auxquels les sujets de recherche ont eu à répondre.

Lorsque l’étudiant a commencé à s’intéresser à l’humour comme élément d’atténuation de la douleur, sa première surprise a été de constater la rareté des études sur le sujet. Pourtant, d’innombrables articles ont porté sur les liens entre la maladie et la dépression. «Dans l’ensemble, écrit-il dans sa thèse, peu d’études scientifiques ont été menées sur l’impact de l’humour sur la santé ou la douleur. De ces recherches, on observe des méthodologies variées ainsi que plusieurs façons de définir l’humour ou le sens de l’humour. En ce qui concerne l’influence de l’humour sur la douleur chronique, la question demeure entière.»

Le grand zygomatique

Grand mystère depuis la nuit des temps, l’humour et le rire ont intrigué Platon, Aristote, Descartes, Kant et Freud, qui ont tous écrit sur ce phénomène apparemment propre aux humains. Défini par le chercheur Rod Martin comme «un large éventail de phénomènes associés à la perception, l’expression ou l’appréciation d’idées, de situations ou d’événements amusants, comiques, absurdes ou incongrus», l’humour ferait appel à des phénomènes cognitifs, émotionnels, comportementaux, psychophysiologiques et sociaux.

M. Martin, qui était examinateur externe à la soutenance de thèse de Simon Laliberté, est un des rares chercheurs canadiens à s’intéresser à l’humour. Professeur de psychologie à l’Université de Western Ontario, Rod Martin a écrit plusieurs articles à propos des bienfaits de l’humour sur le stress et les difficultés de l’existence.

Inutile de dire que le sens de l’humour varie d’une personne à l’autre. Même l’individu le plus guilleret connaît des moments où il n’entend pas à se dilater la rate. Parlez-en au fondateur du festival Juste pour rire, Gilbert Rozon, accusé d’agression sexuelle en 1998: «Rozon ne rit plus», titrait laconiquement Le Soleil

En recherche clinique, l’humour est difficile à mesurer, mais le rire s’observe aisément de façon objective grâce à un muscle spécialisé dans cette expression faciale: le grand zygomatique. En se contractant sous la joue, ce muscle surélève les lèvres, donnant un éventail de mimiques qui traduisent la bonne humeur, du rictus au rire gras. Même le rire feint n’échapperait pas aux observateurs.

Ainsi, grâce à des appareils vidéo, Simon Laliberté a pu observer ses sujets s’esclaffer en laboratoire. «Aucun doute, mes sujets ont ri. Mais quand la séance a été terminée, ils n’ont pas attribué à leurs rires une baisse de l’intensité ou de la fréquence de la douleur.»

Rire n’empêche pas de pleurer

Pour le psychologue, aujourd’hui rattaché à temps plein au centre de réadaptation Lucie-Bruneau, son travail a constitué une excellente occasion d’apporter un éclairage sur un phénomène réel, même si le résultat empirique n’a pas été concluant. «Je continue de m’intéresser à ce thème et je conserve l’intuition que le sens de l’humour aide à traverser les épreuves», dit-il.

Au cours d’ateliers ou de thérapies de groupe par exemple, il fait porter à l’occasion la discussion sur la question de l’humour. Ces échanges peuvent réserver des surprises, car le centre Lucie-Bruneau n’est pas à proprement parler un endroit gai: spécialisé dans les traumatismes sévères, il reçoit en grande partie des victimes d’accidents de la route. Or, certains patients conservent ou développent un sens de l’humour salutaire pendant leurs traitements. Dans la conclusion de sa thèse, le psychologue lance un appel afin que d’autres travaux poursuivent l’exploration de cette piste de recherche.

Lui-même grand consommateur de spectacles d’humour, Simon Laliberté ne croit pas que le Québec compte trop d’humoristes. Et ce n’est pas parce qu’on entend à rire qu’on ne prend pas la vie au sérieux. D’ailleurs, avant de s’intéresser à l’humour dans le processus de guérison, il avait rédigé un mémoire de maîtrise sur les agresseurs sexuels. Christopher Earls, professeur au Département de psychologie, a dirigé ses deux projets de recherche.

Mathieu-Robert Sauvé






 
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