Volume 6 - numÉro 1 - Septembre 2006
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PsychologieVotre passion est-elle obsessive ?Julie est complètement emballée par le karaté. Cette activité lui permet de vivre des expériences mémorables, notamment au cours de compétitions. Malheureusement, elle n’a pas accès au gymnase la fin de semaine et elle s’ennuie alors un peu de son sport. Mais elle en profite pour faire de la natation. Pierre a aussi une passion : les échecs. Il ne peut pas s’en passer. Et il doit gagner. Son humeur et son estime de soi en dépendent. Il imagine très mal sa vie sans cette activité. Julie et Pierre sont des passionnés de nature bien différente : la première est « harmonieuse » et le second « obsessif ». « Il y a une différence majeure entre les deux et nos travaux cherchent à mieux la cerner. Comment une activité, d’abord pratiquée par plaisir, devient-elle une véritable obsession chez certains alors qu’elle demeure saine pour les autres ? » se demande Geneviève Mageau, professeure adjointe au Département de psychologie de l’Université de Montréal. Les passions humaines nous intriguent depuis la nuit des temps, rappelle la jeune professeure. Baruch Spinoza, Friedrich Hegel, René Descartes, Jean-Jacques Rousseau, notamment, y ont réfléchi durant une bonne partie de leur vie. Mais ce mot (du latin passio, « souffrance ») est utilisé à tous les vents de nos jours, de sorte que son véritable sens s’est un peu perdu en cours de route. Pour Geneviève Mageau, il existe deux catégories de passionnés. Le passionné obsessif, comme Pierre, perd progressivement le contrôle sur sa vie. Son loisir occupe une place disproportionnée. Pour Julie et ses semblables, le jeu est une expérience positive, renouvelée, qui permet d’améliorer sa concentration, de diminuer son anxiété et de mieux dormir. Pour les obsessifs, les heures sans l’objet de leur passion sont des heures perdues, alors que les « harmonieux » continuent de savourer les bienfaits de leur activité entre les séances. Les uns se sentent coupables de ne penser qu’à ça ; les autres sont inspirés par les bons coups de la veille et imaginent ceux à venir... Depuis son doctorat en psychologie expérimentale sous la direction de Robert Vallerand, à l’UQAM, de 1998 à 2003, Geneviève Mageau scrute les passions des gens pour tenter d’approfondir la compréhension du phénomène. « Sur le plan expérimental, il y a assez peu de documentation sur ce thème, signale-t-elle. Il faut dire que c’est un domaine assez difficile à aborder avec des sujets de recherche. » Difficile, mais pas impossible. À l’aide d’une échelle mise au point par son ancien professeur, l’équipe de Mme Mageau a distribué en 2003 auprès de 539 cégépiens un questionnaire dans lequel les répondants étaient invités à décrire « l’activité qui vous tient le plus à cœur ». Du classeur à passions où elle conserve les réponses, elle sort au hasard quelques formulaires dument remplis. Le sport est bien représenté : soccer, football, hockey, baseball, tennis... Les arts figurent aussi en bonne position : untel ne vit que pour le théâtre ou la musique, la danse ou le cinéma. Les relations interpersonnelles, enfin, sont le centre d’intérêt d’un bon nombre de jeunes. « Une passion, c’est plus qu’un simple loisir, explique-t-elle. Ceux qui jouent de la guitare ou font du jogging à temps perdu ne se définiront pas comme des “guitaristes” ou des “joggers”. » À l’autre extrémité de l’échelle, le pianiste qui s’apprête à répéter pendant 7 heures une sonate de Franz Liszt ou le basketteur qui se lève avant l’aube en vue d’un tournoi entreprennent ces activités sans effort. Pour les non-passionnés, cette discipline spartiate apparait comme de la pure folie. À titre de jeune professeure, Geneviève Mageau a beaucoup de pain sur la planche. Elle a obtenu une réponse positive du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture pour un projet de psychologie expérimentale. Elle avoue que les premières années d’une carrière universitaire sont très exigeantes. Mais c’est une vraie passion. Obsessive ou harmonieuse ? Elle sourit timidement. « Harmonieuse. Mais j’avoue que j’ai eu ma période obsessive », concède-t-elle, l’air un peu gêné.
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