Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 6 - numÉro 1 - Septembre 2006
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Ethnobotanique

L’orpin rose, la plante qui vole à la rescousse des Inuits

Pour l’œil non avisé, l’orpin rose (Rhodiola rosae) est une plante semblable à toutes les autres, si ce n’est qu’elle ne pousse que dans des régions éloignées. Avec sa tige émergeant d’un rhizome comparable à la racine du gingembre, ses feuilles étagées et ses fleurs timides qui apparaissent à la fin de l’été, elle rappelle vaguement les plantes d’intérieur les plus communes.

Erreur. Grave erreur. L’orpin rose est une des vedettes montantes de la phytothérapie. En infusion ou en gelule, cette plante qualifiée de « nouveau ginseng » aurait un effet cardioprotecteur, préviendrait le mal des montagnes, stimulerait l’humeur, renforcerait l’activité du système immunitaire, etc. « En Russie, la plante a suscité un tel engouement qu’elle a failli disparaitre », signale le botaniste Alain Cuerrier, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal.

L’orpin rose, que les ainés de Kangiqsualujjuaq (un village de l’est de la baie d’Ungava) n’ont eu aucun mal à reconnaitre lorsque le chercheur le leur a montré, est bien connu pour ses vertus stimulantes, même à l’extrême nord du continent. « Cette plante pourrait être utilisée dans le traitement du diabète. En tout cas, la demande est forte actuellement sur le marché. »

Pour les Inuits, aux prises avec des problèmes sociaux et économiques graves, le végétal pourrait constituer une belle occasion d’affaires. « On peut envisager la commercialisation de cette plante, dit Alain Cuerrier. Un peu comme avec des essences indigènes dans des pépinières, l’orpin rose pourrait être cultivé dans des champs. Il faudrait trouver des moyens d’installer des séchoirs afin d’y déposer la récolte. Cela donnerait l’occasion à des communautés inuites d’occuper un créneau original et potentiellement très lucratif, celui des produits de santé naturels. » Mais cette exploitation doit être bien menée pour éviter une cueillette abusive comme celle de l’ail des bois dans les années 70. Victime de son succès, l’ail des bois a presque disparu du territoire québécois parce que les gens en récoltaient inconsidérément le bulbe, tuant le plant du même coup.

Avant d’évoquer une possible commercialisation de l’orpin rose, le botaniste a dû s’assurer que la plante du continent américain possédait les mêmes propriétés que celles attribuées au végétal si populaire en Europe. Il a donc procédé à une analyse génétique des différentes populations d’orpin rose récoltées dans les îles Mingan et dans le pays des Inuits. Résultat : il s’agit de la même souche puisque le génotype est très semblable à celui qui vient de Russie ou de Norvège. Il faut toutefois être sûr que la plante du Nunavik contient les mêmes éléments actifs que les souches européennes, un travail mené actuellement en collaboration avec l’Université d’Ottawa.

Au cours des dernières années, grâce à la contribution de l’Institut culturel Avatak, de l’Administration régionale Kativik et de la société de développement Makivik, Alain Cuerrier s’est rendu plusieurs fois dans le Grand Nord québécois pour étudier le « savoir botanique » des communautés autochtones. Sa façon de faire relève des méthodes employées en ethnologie. Avec l’aide d’un interprète, il présente à un ainé des plantes qu’il a cueillies autour du village. Puis il note ses commentaires. « Lorsqu’on dépose des plantes devant un ainé, certaines ne lui disent rien, relate le chercheur. Mais aussitôt qu’il reconnait une plante dotée d’une propriété particulière dans la tradition orale, ses yeux s’allument et il nous confie ce qu’il sait à son sujet. »

Une des rencontres du chercheur s’est avérée particulièrement symbolique puisqu’elle concerne une figure mythique de l’histoire québécoise des sciences : le botaniste et ethnologue Jacques Rousseau (1905-1970). « Au cours d’une entrevue avec un Inuit, Tivi Etok, je lui ai demandé s’il se rappelait un Blanc qui récoltait des plantes. Oui, il s’en souvenait. C’était même son père, Moses Etok, qui lui servait de guide. Une photo a confirmé le tout. » Il y a bien des points communs entre Alain Cuerrier et l’ancien étudiant du frère Marie-Victorin. Ce n’est pas pour rien que ses collègues botanistes le surnomment « le jeune Rousseau ».

 

Chercheur :

Alain Cuerrier

Courriel :

alain_cuerrier@ville.montreal.qc.ca

Téléphone :

514 872-3182

Financement :

Instituts de recherche en santé du Canada, Nunavik Biosciences



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