Volume 40 - numÉro 24 - 20 mars 2006 |
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28% des étudiants sont favorables aux punitions corporellesLe comportement de l’être humain est bien souvent paradoxal.
Alors que les punitions physiques entrainent douleur, humiliation et colère, plus on en a reçu dans son enfance, plus on est porté à y voir un effet formateur et plus on a l’intention de reproduire ce comportement comme parent. Ceci s’observe même chez les étudiants à l’université, malgré le fait que toute la littérature sur le sujet démontre que les punitions corporelles sont néfastes. C’est l’un des constats qui ressort du mémoire de maitrise de Caroline Despaties, réalisé au Département de criminologie sous la direction de Diane Casoni. Mme Despaties a voulu dresser le tableau des expériences vécues par les étudiants de niveau universitaire en ce qui concerne les punitions corporelles et cerner leur opinion sur le sujet. «C’est la première fois, au Québec, qu’on sonde un groupe de futurs parents sur la question», affirme Mme Despaties, qui travaille maintenant comme intervenante psychosociale au Centre jeunesse de Montréal. 80% y ont gouté!Que faut-il entendre par «punition corporelle»? La chercheuse n’a pas dressé une liste de gestes précis, mais s’est plutôt fondée sur une définition reconnue dans la littérature: usage de la force physique dans l’intention de faire vivre une expérience de douleur sans blessure et dans le but de corriger un enfant ou de contrôler son comportement. Parmi les quelque 2150 étudiants de l’UdeM, dont 70% sont des femmes, qui ont participé à l’étude, 80% disent avoir reçu au moins une punition corporelle au cours de l’enfance. Près de 70% en ont reçu une dizaine et 15% en recevaient plusieurs fois par année. La fréquence la plus élevée, soit plusieurs fois par semaine, n’est le lot que de 2% des répondants. Parmi les variables mesurées, Mme Despaties a considéré le motif de la punition selon le répondant et selon la personne qui punissait, quand et par qui elle était administrée, de même que la religion et le lieu de naissance des répondants. Le chiffre de 80%, qui peut surprendre, n’étonne pas l’intervenante. «Il peut paraitre élevé, mais il correspond à ce qu’on retrouve dans les autres études sur les punitions corporelles», indique-t-elle. Les différences selon les variables du sexe, de la religion et du lieu d’origine sont significatives mais faibles: les hommes sont plus nombreux que les femmes à avoir reçu des punitions corporelles; ce recours est plus fréquent chez ceux qui disent être membres actifs d’un groupe religieux et notamment chez les protestants; il est aussi plus fréquent chez les personnes nées à l’extérieur du pays. Fait surprenant, les punitions corporelles sont données en parts égales par les pères et par les mères. Dans presque 87% des cas, la punition est infligée avec la main, mais 13% des répondants ont aussi été frappés à l’aide d’un objet. Quant aux motifs, c’est la désobéissance ou l’indiscipline qui sont invoquées au premier chef dans plus de 70% des cas. 28% veulent y recourirIndépendamment de ces variables, plus de 28% des étudiants croient que les punitions corporelles sont justifiées et disent avoir l’intention d’en faire usage quand ils seront parents. C’est le résultat qui surprend le plus la chercheuse. «Ceci montre que les étudiants sont mal informés puisqu’il y a un consensus presque unanime sur le fait que les punitions corporelles sont néfastes sur le comportement», signale-t-elle. Comme effets néfastes, la littérature rapporte des risques de maltraitance et de blessures, des problèmes d’intériorisation des règles morales, des troubles d’anxiété et d’agressivité, des comportements délinquants et des problèmes de consommation d’alcool et de drogue. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que l’intention de recourir aux punitions corporelles augmente avec la fréquence des châtiments reçus. Selon Caroline Despaties, cette donnée illustre la transmission intergénérationnelle d’un comportement: «Sauf dans les cas extrêmes, la fréquence de la punition rend cette pratique acceptable et normative aux yeux de ceux qui l’ont subie. Ils considèrent que ce fut bon pour eux et que ce sera bon pour leurs enfants.» Mais cela ne remet-il pas en cause ce qu’en dit la littérature? «Les gens sont mal renseignés, reprend-elle, et ne sont pas conscients du lien entre certains problèmes comportementaux et les punitions corporelles reçues. Il faut des études longitudinales pour faire ressortir ce lien.» Ce manque d’information s’observe dans le fait que le principal facteur prédictif du recours aux punitions corporelles ressortant de cette étude est l’opinion favorable qu’on a à leur égard: croire qu’elles ont un effet positif explique près de 51% de l’intention d’y recourir. Toujours selon la chercheuse, le fait que la Cour suprême du Canada a reconnu en 2004 la constitutionnalité des punitions corporelles envoie un mauvais message quant à la justification de ces pratiques (voir l’encadré). Cette recherche de Caroline Despaties a été rendue possible grâce à une bourse du CRSH et fait partie des cinq pour cent de mémoires qui ont reçu la cote «excellent» à l’École de criminologie. Daniel Baril |
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