Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 21 - 19 FÉVRIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Percer le secret de la mémoire immunologique

Le Dr Rafick Pierre Sekaly et son équipe découvrent une protéine clé et un mécanisme important de la mémoire des lymphocytes T

Malgré plusieurs offres alléchantes, Rafick Pierre Sekaly reste à Montréal, avec une équipe de chercheurs «dynamiques, productifs et compétents».

On sait depuis longtemps qu’après avoir reçu un vaccin notre système immunitaire reconnait les signaux chimiques de l’ennemi et se met à produire des anticorps et des lymphocytes T cytotoxiques pour le détruire. Cette réaction est possible parce que notre organisme possède une mémoire immunologique qui assure une protection à long terme contre ce même virus. Mais jusqu’à ce jour, on ignorait à peu près tout des mécanismes associés à la longévité de cette mémoire, dont la durée peut aller jusqu’à 60 ans.

L’équipe du Dr Sekaly, professeur au Département de microbiologie et immunologie, vient d’en percer le secret. «C’est l’une des plus grandes découvertes de ma carrière», lance le chercheur au cours d’une entrevue. Il explique: «On a découvert que la molécule FOXO3a était responsable d’intégrer tous les signaux reçus de l’extérieur par les cellules CD4+. Ce sont ces lymphocytes T à mémoire qui séquestrent FOXO3a dans le cytoplasme et du coup permettent aux cellules de la mémoire centrale de survivre pendant autant d’années.»

Il s’agit d’un mécanisme d’action qui n’était pas connu et qui faisait l’objet d’une intense investigation de la part de la communauté scientifique. Cette découverte a été effectuée par la stagiaire posdoctorale Catherine Riou sous la direction des Drs Sekaly et Elias K. Haddad, attaché de recherche à la Faculté de médecine. Les chercheurs présentent leurs résultats prometteurs pour l’être humain dans le numéro de janvier du Journal of Experimental Medicine. Ce travail a été financé en grande partie par Génome Canada et Génome Québec.

Agir sur la mémoire centrale
Les chercheurs du laboratoire d’immunologie sont parvenus à cette découverte en recourant à une technique qui consiste à faire un tri cellulaire. Ils ont ainsi réussi à isoler FOXO3a en purifiant de façon homogène des cellules de la mémoire centrale. Puis, ils ont comparé l’expression de différents gènes avec plusieurs populations de lymphocytes (aussi appelées cellules T). Ils ont enfin analysé leurs résultats avec des logiciels bio-informatiques.

Ce n’est qu’à ce moment qu’ils ont compris l’ampleur de leurs données. «Tous les gènes qui étaient les cibles de FOXO3a n’étaient pas exprimés dans les cellules de la mémoire centrale contrairement aux autres populations cellulaires», indique le Dr Sekaly. À son avis, ce qui contrôle «cette activité de transcription des gènes», c’est la capacité de FOXO3a de partir du cytoplasme et d’aller dans le noyau de la cellule.

«Lorsque la protéine se trouve dans le cytoplasme, les gènes ne sont pas exprimés et, quand FOXO3a est dans le noyau, les gènes sont exprimés», signale-t-il. Or, l’étude de l’équipe du Dr Sekaly démontre clairement que FOXO3a est séquestrée dans le cytoplasme lorsqu’elle reçoit les signaux des cellules «à mémoire». Tous les gènes qui induisent la mort cellulaire ne sont dès lors pas exprimés. «C’est ce qui protège les lymphocytes T à mémoire de la mort cellulaire», affirme l’immunologue, dont les travaux ouvrent de nouvelles perspectives dans la mise au point de stratégies thérapeutiques. Celles-ci seront applicables non seulement à un vaccin contre le sida, mais à tout type de vaccin.

«Maintenant qu’on sait qu’il est possible d’agir directement sur la mémoire centrale, mentionne le Dr Sekaly, on va essayer de mettre au jour des molécules qui empêcheront FOXO3a de se phosphoryler, c’est-à-dire de rester dans le cytoplasme. Cela va permettre aux cellules de rester vivantes très longtemps et de devenir des mémoires centrales. Les vaccins de demain pourraient donc être beaucoup plus efficaces.»

Dans le cas des maladies auto-immunes comme le sida, où les cellules «à mémoire» alimentent la maladie, un procédé inverse devra être appliqué. «Il faut repérer des antagonismes qui vont empêcher FOXO3a de recevoir les signaux de survie afin d’inhiber la phosphorylation de la molécule.» Autrement dit, FOXO3a devra être neutralisée dans le noyau.

Les Américains le courtisent
Éminent chercheur en biologie cellulaire, immunologie et virologie, le Dr Rafick Pierre Sekaly dirige l’un des plus importants centres de recherche consacrés à cette science: le Laboratoire d’immunologie de l’Université de Montréal du Centre de recherche du CHUM. Cinquante chercheurs y sont rattachés de façon permanente et plusieurs étudiants au doctorat et au postdoctorat y mènent leurs travaux. Quatre grands axes les occupent: le thymus, la mémoire immunologique, les cellules dendritiques ainsi que les vaccins et l’immunothérapie.

On doit à ce pionnier, qui a créé et dirigé jusqu’en 2006 le Réseau canadien pour l’élaboration de vaccins et d’immunothérapies, une avancée majeure dans le traitement du sida. Le professeur Sekaly et son équipe ont en effet découvert la façon de corriger un défaut de la réponse immunitaire au VIH. «Nous avons trouvé une nouvelle cible thérapeutique, la protéine PD-1, qui permettrait de restaurer la fonction des cellules T, responsables de l’élimination des cellules infectées par le virus du VIH», expliquait-il à Forum en aout 2006, peu de temps après la publication des résultats de son étude dans la revue Nature Medicine. Cette percée a suscité beaucoup d’intérêt dans les médias.

Son expertise relativement au cancer, au sida et à l’hépatite C lui vaut aussi des invitations aux quatre coins du monde et plusieurs centres de recherche américains qui le courtisent sont prêts à lui offrir le triple de son salaire et de ses ressources. «Si j’ai refusé de quitter Montréal jusqu’à présent, ce n’était pas que pour une question d’argent, fait remarquer le chercheur. Constituer une équipe de recherche prend du temps, et c’est chose faite ici. Notre laboratoire est très productif et l’équipe est dynamique, compétente.»

De son propre aveu, le Dr Sekaly admet que beaucoup reste à faire dans les prochaines années en ce qui concerne l’élaboration de vaccins contre le VIH et le cancer. Le spécialiste s’attend pourtant d’ici cinq ans à ce que la lutte contre ces maladies prenne un tournant décisif. D’ici là, pas de retraite en vue pour l’immunologue d’origine libanaise. «Au contraire, dit-il en souriant, je suis présentement plus occupé que jamais.»

Dominique Nancy

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