Être payé pour jouer
Dans un immense loft du boulevard Saint-Laurent, à Montréal,
une bande de jeunes est réunie autour d'une console
PlayStation. Manettes en main, ils sont complètement
absorbés par le jeu vidéo Prince of
Persia . Les commentaires et les appréciations
fusent de tous les côtés. Pourtant, l'heure
n'est pas à la détente, mais bien au travail.
C'est que, à Ubisoft, les employés sont
payés pour jouer ! « L'atmosphère
est hyperdécontractée, confirme Laurent
Simon, professeur à HEC Montréal. On dirait
que chaque employé a reconstitué une partie
de sa chambre d'adolescent dans son bureau. On y trouve
de petits personnages en plastique, des affiches inspirées
de dessins animés, des véhicules de toutes
sortes, etc. »
De 1998 à 2000, Laurent Simon a observé les
mœurs des employés d'Ubisoft, une entreprise française
de création multimédia qui compte 700 employés.
Il en a fait une thèse qu'il a défendue
au mois de septembre 2003. « Lorsque j'ai
commencé mon doctorat, les 300 employés
d'Ubisoft à Montréal avaient une moyenne
d'âge de 25 ans ! Je me demandais comment ces jeunes
créateurs issus de la génération
Net pouvaient travailler ensemble. J'ai décidé d'aller
voir sur le terrain. »
Laurent Simon a découvert que la plupart des
employés étaient autodidactes sur le plan
des nouvelles technologies. Ces jeunes branchés
circulaient librement dans les bureaux, s'apostrophaient,
téléphonaient ou pianotaient sur leurs
claviers. Malgré un certain brouhaha, les affaires
tournaient rondement. De leur côté, les
gestionnaires ne peuvent avoir recours aux approches
traditionnelles de gestion pour réussir dans le
domaine du multimédia. « On ne peut
imposer une structure hiérarchique classique dans
ce type d'entreprise, explique-t-il. Les jeunes créateurs
ne sont pas tellement motivés par les promotions,
le pouvoir et l'argent. Ils sont plutôt attirés
par les tâches elles-mêmes et les possibilités
d'expression dans leur travail. Ils veulent avant tout
avoir du plaisir en travaillant. Tout comme les personnages
de leurs jeux vidéo, les jeunes créateurs
cherchent à évoluer dans un univers ludique. »
Au cours de ses deux années d'observation, Laurent
Simon s'est familiarisé avec les grandes étapes
de la création d'un jeu vidéo. « C'est
un travail qui implique une multitude d'expertises. Un
seul jeu peut monopoliser 80 personnes pendant deux ans. À la
tête de cette équipe, on trouve un ou plusieurs
coordonnateurs ou concepteurs de jeux électroniques. » Une
fois le scénario du jeu imaginé et élaboré,
les graphistes dessinent des personnages en deux, puis
en trois dimensions. À partir du modèle
3D, un animateur définit ensuite une série
de mouvements pour chaque personnage. Les programmeurs,
qui travaillent souvent dans l'ombre, s'assurent quant à eux
du réalisme et de la fluidité des mouvements.
Finalement, le coordonnateur assemble les morceaux pour
créer une action, voire une ambiance dans l'esprit
du scénario du jeu. Il veille aussi à respecter
les échéanciers et les budgets. Un poste
de professeur à HEC Montréal lui ayant été proposé avant
même qu'il soutienne sa thèse, Laurent Simon
s'apprête à lancer de nouveaux projets de
recherche en management des créateurs et des innovateurs. « Je
cherche à mieux comprendre les organisations qui
engagent des créateurs et à les aider à instaurer
des environnements stimulants pour leurs employés. »