Biologie
Les saumons préfèrent la nuit
Deux heures du matin. C’est la nuit noire sur la rivière Sainte-Marguerite, au Saguenay. Bien malin celui qui pourrait voir l’extrémité de deux tubas qui remontent lentement le courant en s'arrêtant près des rochers. Ces tubas appartiennent à deux grenouilles bien particulières du genre humain armées de lampes sous-marines et de blocs-notes hydrofuges. Ce sont des biologistes de l’Université de Montréal qui épient les comportements d’une espèce dont on constate depuis 10 ans le déclin partout dans l’est de l’Amérique : le saumon atlantique (Salmo salar).
Durant tout l’été, soir après soir, ils ont revêtu leur combinaison isothermique et pénétré dans l’eau glacée pour traquer les bébés saumons. Mais pourquoi diable plonger la nuit ? « Parce que les jeunes saumons y sont beaucoup plus visibles que le jour », explique Marie-Ève Bédard, qui a dirigé une équipe scientifique, l’an dernier, afin de documenter les habitudes nocturnes des alevins et tacons, soit les saumons âgés de moins de trois ans qui n’ont pas encore gagné la mer.
Au cours de son baccalauréat en sciences biologiques, la jeune femme a levé une partie du voile sur l’activité nocturne des salmonidés. Son étude, dont les résultats paraîtront cet été dans le Journal of Fish Biology, démontre que les jeunes poissons sont principalement actifs entre 22 h et 2 h. Selon ses observations, il y aurait 50 % plus d’activité durant ces quatre heures qu’avant ou après cette période.
Pour le biologiste Daniel Boisclair, ce résultat apporte une donnée de plus à la grande recherche qu’il mène depuis 10 ans sur le saumon atlantique. « Nous devons connaître le mieux possible les conditions de vie du poisson afin de contrôler plus efficacement les facteurs qui influent sur sa survie, indique le cofondateur du Centre interuniversitaire de recherche sur le saumon atlantique. Depuis que nous savons que les alevins et tacons sont plus actifs la nuit que le jour, nous ne plongeons plus que la nuit. On se lève à midi et la journée de travail commence véritablement vers 19 h 30... jusqu’à 3 h ou 4 h. » Si les jeunes saumons sont plus actifs en pleine nuit, c’est qu’ils risquent moins de se faire avaler par des prédateurs. Comme les jeunes saumons se nourrissent d’insectes et de larves qui dérivent avec le courant, ils doivent quitter leur poste le temps de la capture. Cela les expose au danger.
Avec un étudiant au postdoctorat, Istvan Imre, Daniel Boisclair a voulu savoir, il y a deux ans, si la luminosité de la lune avait un impact sur le comportement des poissons. « Nous avons donc comparé les observations entre les nuits sans lune et les nuits de pleine lune. Résultat : il n’y a pas de différences significatives. » Quelques années plus tôt, Daniel Boisclair avait provoqué une certaine surprise dans le milieu scientifique en établissant que la lune pouvait influencer les poissons de lac. Mais l’explication n’était pas ésotérique. « Les poissons de lac s’alimentent d’algues, de phytoplancton et de zooplancton, qui sont très sensibles à la lumière, rappelle-t-il. Les nuits de nouvelle lune, ces sources de nourriture demeurent plus près de la surface. On y retrouve donc plus de poissons. » Les choses sont différentes en rivière, où le poisson ne dépend pas des organismes en question, mais se nourrit plutôt d’insectes, de larves et d’invertébrés charriés par le courant. Les chercheurs n’ont donc pas été très surpris par les résultats de la présente étude. « En rivière, les alevins et tacons semblent répondre à différents facteurs externes. Par exemple, on remarque une différence entre les journées nuageuses et les journées ensoleillées, où l'on peut compter huit fois plus de poissons. »
|