La vente de bois par des propriétaires terriens,
il y a plus de deux siècles, a causé des
changements irréversibles dans la composition des
forêts du sud du Québec. Les hêtres
et les bouleaux jaunes (appelés couramment merisiers)
ont pour ainsi dire disparu de plusieurs forêts et
ont été remplacés par des espèces
comme le caryer, aujourd’hui si communes qu’on
les croit typiques de la forêt mature.
C’est la conclusion à laquelle deux botanistes
de l’Université de Montréal, Jacques
Brisson et André Bouchard, sont parvenus à la
suite d’une étude qui paraît ce printemps
dans la revue Écoscience. « On croyait encore
récemment que l’érablière à caryer était
la forêt-climax du Haut-Saint-Laurent, explique M.
Bouchard, directeur de l’Institut de recherche en
biologie végétale (IRBV). C’est faux.
La forêt que les colons ont vue quand ils sont arrivés
ici était composée d’érables à sucre,
mais aussi de hêtres, de pruches, de chênes,
de mélèzes, de bouleaux jaunes et même
d’épinettes. Autant d’espèces
qu’on ne trouve qu’occasionnellement ou qui
ont disparu de la région depuis. »
Pour reconstituer la forêt précoloniale, les
chercheurs ont eu recours à un moyen inusité :
l’étude des actes notariés conservés
dans les archives municipales et provinciales. Il faut
savoir que la population du Bas-Canada était très
peu scolarisée au début du peuplement ; les
notaires étaient donc sollicités pour toute
transaction commerciale. Les ventes de lots de bois destinés
au chauffage et à la construction entre autres faisaient
couramment l’objet d’un acte signé par
un notaire. Cet acte contient de façon précise
l’essence du bois vendu, son volume, son prix, etc.
Après avoir écumé quelque 500 000
actes notariés, les botanistes archivistes ont retenu
119 actes pour une étude détaillée.
Comme les terres ont été arpentées
avec précision dès le début de la
colonisation, ils ont pu localiser, sur le terrain, 60
lots de forêt du début du 19e siècle
qui n’avaient pas été transformés
en pâturage, en champ de maïs ou en autoroute.
Ainsi recréées, les forêts d’autrefois
ont été comparées avec celles d’aujourd’hui.
Un véritable voyage dans le temps. « Nous
avons constaté que l’intervention humaine
pendant près de deux siècles, mais surtout
entre 1820 et 1840, a suffi à faire disparaître
presque complètement le hêtre et le bouleau
jaune », note M. Brisson.
Jacques Brisson et André Bouchard ont eu la confirmation
de leur hypothèse en examinant la composition de
la forêt des Muir, un des seuls boisés de
la plaine du Saint-Laurent épargné par l’intervention
humaine directe. On y trouve des hêtres et des érables
datant de 250 ans et plus. « Certains étaient
là au moment de l’arrivée des premiers
colons », mentionne Jacques Brisson, qui a découvert
cette forêt exceptionnelle au cours de ses études
de maîtrise. La forêt des Muir est aujourd’hui
un espace protégé… et un laboratoire à ciel
ouvert de l’Université de Montréal.
M. Brisson, professeur au Département de sciences
biologiques et chercheur à l’IRBV, a mené plusieurs
travaux dans cette forêt.
Chercheur : Jacques Brisson
Téléphone : (514) 872-1437
Courriel : jacques.brisson@umontreal.ca
Financement : Conseil de recherches en sciences naturelles
et en génie du Canada