Droit
« Tu gardes l’auto, je garde Fido ! »
Lorsque l’huissier sonne à la porte de monsieur pour quérir Benji, un bichon maltais de six mois que réclame son ex-conjointe, le représentant de la cour essuie un refus catégorique. Pas question que monsieur se sépare du chien.
Mal lui en prend, car dans cette cause entendue le 19 juin 2000 à la Cour du Québec, district de Montréal, la plaignante obtient gain de cause et monsieur est reconnu coupable d’outrage au tribunal. « De plus en plus, nous sommes confrontés à ce genre de situation où des animaux de compagnie sont concernés par un litige entre deux personnes au moment de leur rupture. Ce sont des sujets de droit en émergence », commente Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Dans une recherche dont les résultats ont été publiés récemment dans La revue du Barreau canadien, ce spécialiste du droit de la famille a réalisé une synthèse des connaissances sur l’animal de compagnie au Canada, en Europe et aux États-Unis. Le rapport qu’il a produit ne manque pas de piquant. « Dans l’affaire Leffers c. Da Silva, peut-on lire, le propriétaire d’un chaton sauvagement tué par un saint-bernard ayant échappé à la surveillance de son maître n’a pu obtenir de ce dernier qu’un maigre 183,99 $ représentant le montant déboursé pour l’achat du pauvre félin. »
Il y a aussi le cas, pathétique, d’un employé d’une clinique vétérinaire qui a introduit par erreur un poméranien dans une cage où séjournaient déjà deux molosses. Ils n’en ont fait qu’une bouchée. Ou encore ce requérant qui a poursuivi un autre vétérinaire pour avoir égaré les cendres de son chat bien-aimé, qu’il aurait voulu « enterrer dignement ».
À la cour, les plaignants qui obtiennent gain de cause reçoivent des compensations dérisoires compte tenu du lien affectif très fort qui les unit à leurs bêtes. « C’est que le Code civil définit l’animal comme une chose. En principe, les juges doivent donc le considérer ainsi et appliquer la règle juridique régissant la perte d’un bien », explique le juriste.
En vertu du Code civil, on est une « personne » ou une « chose ». Les animaux paient le prix de ce manichéisme, car ils ne sont pas tout à fait l’une ni tout à fait l’autre. « Actuellement, si un couple se sépare, les tribunaux n’ont pas d’autre choix que de tenir l’animal domestique pour l’équivalent d’un lave-vaisselle ou d'un divan-lit. On calcule sa valeur et on divise en deux s’il y a lieu. »
On voit de plus en plus les couples convenir d’une garde partagée après leur rupture ou chercher le meilleur intérêt du chien, le cas échéant. Toutefois, si le litige persiste, la loi n’est pas d’un grand secours. « À mon point de vue, il faudrait réformer la loi pour tenir compte du statut des animaux de compagnie », estime Alain Roy, qui a lui-même un chat.
Attention, prévient-il. L’animal ne doit pas devenir une « personne » ayant des droits proches de ceux de ses maîtres, mais son statut de « chose » est nettement inapproprié. « L’animal domestique n’est pas une chose qu'on peut traiter à travers le même filtre juridique que les biens mobiliers, au risque d’aboutir à des résultats absurdes et inadaptés aux réalités contemporaines », signale-t-il dans la conclusion de sa recherche.
Chercheur : |
Alain Roy |
Courriel : |
alain.roy@umontreal.ca |
Téléphone : |
(514) 343-2358 |
Financement : |
Chaire du notariat, Faculté de droit de l’Université de Montréal |
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