Criminologie
Avoir peur en prison
Étudiante au doctorat, Marion Vacheret créait tout un effet dans les couloirs des pénitenciers fédéraux où elle a passé 12 heures par jour, pendant six mois, en 1998, à observer les dynamiques de pouvoir entre détenus et gardiens. C'est là que lui est venue l'idée de son projet de recherche sur la victimisation et la peur en milieu carcéral. « Les détenus ont toujours été charmants et très chaleureux avec moi », indique la jeune femme aujourd'hui professeure à l’École de criminologie de l'Université de Montréal. Elle affirme n’avoir jamais ressenti la peur ; mais cette émotion est pourtant omniprésente « en dedans ».
« Les membres du personnel avaient un discours très insistant sur la dangerosité des établissements : “Prends garde, ne va pas là…”, disaient-ils. Mais cela ne correspondait pas exactement à ce que je voyais autour de moi, raconte la chercheuse. J'ai donc voulu comprendre les raisons du discours sur l'insécurité qui règne en prison. »
Son projet de recherche, mené dans trois pénitenciers à sécurité moyenne et dans deux prisons provinciales, vise à étudier les perceptions et les comportements des détenus, mais aussi celles de leurs gardiens, sans préjugé de départ. Il s’agit de mettre en lumière la présence ou l’absence d’un sentiment de sécurité, d’appréhender les attitudes et pratiques pouvant découler de ce sentiment et enfin d’analyser les relations de pouvoir qui se mettent en place dans ce cadre. « La question que je pose est la suivante : “Est-ce que les gens se sentent en sécurité en prison ?” »
Financé depuis mai 2003, le projet en est à mi-parcours. Il reste à entreprendre le volet quantitatif. Dans cette partie du travail, on interrogera les répondants sur leurs perceptions, mais aussi sur le nombre et les types d’actes de violence dont ils ont été victimes ou témoins.
En ce moment, c'est l'analyse préliminaire des résultats qualitatifs qui occupe Marion Vacheret. « Les détenus parlent tous de violence, note-t-elle. Mais ils la minimisent : quelques coups de poing ici et là. Selon eux, c'est normal, cela fait partie de la vie en prison. » Même si la violence n'est pas toujours visible, le risque est là, souligne-t-elle : « La violence, ce sont souvent des menaces, de l'exploitation, de l'intimidation. »
En fait, le sentiment d'insécurité des détenus se mesure davantage aux stratégies de protection qu'ils utilisent pour se prémunir contre la violence. « On ne peut pas demander à un gars qui fait de la prison s'il a peur, remarque la chercheuse en riant. Mais on s'aperçoit que la préoccupation de se protéger est tout le temps là. On fait attention à qui l'on parle, avec qui l'on se tient et l'on s'arrange pour payer ses dettes. »
Les mauvais payeurs sont en effet les premières cibles des actes de violence. Dans une microsociété où se pratique l'usure, un paquet de cigarettes ou un gramme de cocaïne non payés en valent facilement le double la semaine suivante et il n'est pas rare pour un prisonnier de tomber dans le cercle vicieux de l'endettement. Parmi les autres crimes que les truands ne tolèrent pas entre eux : le vol (!) et la délation. « Toute forme de délation, précise la chercheuse. Un détenu qui informe les gardiens de ce qui se passe dans la prison est considéré comme un délateur. »
Chercheuse : |
Marion Vacheret |
Courriel : |
marion.vacheret@umontreal.ca |
Téléphone : |
(514) 343-5677 |
Financement : |
Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada |
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