Génie civil

Barrages et inondations : peut-on dormir tranquille ?

Les centaines de barrages répartis sur le territoire québécois ne menacent pas les populations civiles. « Mais le risque zéro n'existe pas », soutient Claude Marche, professeur à l'École Polytechnique de Montréal, affiliée à l'Université de Montréal.

Pour cet ingénieur qui a suivi de près la progression de tous les grands projets depuis les années 70 et qui a participé aux analyses des effets du déluge du Saguenay, en 1996, il ne faut pas oublier que de 1 à 3 des 30 000 grands barrages recensés dans le monde cèdent chaque année, entraînant leur lot de catastrophes. Et seule une étude attentive et détaillée des causes des ruptures peut nous renseigner sur les menaces que représentent les digues pour la sécurité publique.

À la demande d'Hydro-Québec, M. Marche a mis sur pied une équipe d'une vingtaine de personnes, dont les trois quarts sont des étudiants et des professeurs d'université, afin d'évaluer les répercussions d'une brèche dans un grand barrage. Un essai « grandeur nature » a même été réalisé en Norvège. On y a provoqué l'écoulement accidentel d'une digue sous l'œil des caméras pour mieux en saisir les mécanismes complexes. « Tout se joue en 30 minutes », dit l'ingénieur en montrant des photos saisissantes de la brèche expérimentale. Quand l'eau se fraie un chemin dans la crête d'un barrage, la brèche s'élargit au rythme où le débit s'accélère. L'effet est très rapide, surtout quand le barrage est en terre et en roche. La vague qui déferle peut emporter des villes entières.

Parmi les plus grandes catastrophes connues, on rapporte le cas de Johnstown, aux États-Unis en 1889, où l'on a dénombré 2209 morts. Plus récemment, en 1959, à la suite de la rupture du barrage de Malpassat, en France, 420 personnes ont péri. Au 20 e siècle, plus de 200 incidents ont entraîné la mort de 8000 personnes, sans compter les dégâts matériels. Jusqu'à maintenant, le Québec a été épargné par ces drames à grande échelle.

« Le risque de rupture est plus élevé pour les ouvrages en terre et en enrochement que pour les ouvrages en béton, si l'on se fie à de récentes statistiques qui montrent également que la probabilité de rupture d'un ouvrage est de l'ordre de 1 % sur sa durée de vie de 100 ans », peut-on lire dans le rapport de recherche déposé au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada en octobre dernier. Signée par trois ingénieurs, cette recherche avait pour but d' « apprécier de manière fiable l'étendue des conséquences en pertes de vie potentielles et en dommages directs d'une rupture ».

M. Marche ne veut pas être perçu comme un prophète de malheur même si son travail consiste à imaginer les impacts d'un accident. L'attitude des autorités a d'ailleurs beaucoup changé quant aux enjeux qui l'intéressent. « En deux décennies, il s'est produit un renversement total. On est passé de la discrétion absolue sur le sujet à une grande transparence. » L'expert se souvient de ses premières années de travaux, alors qu'il devait cacher soigneusement toutes ses données dans des classeurs cadenassés afin de prévenir les fuites (sans jeu de mots). Aujourd'hui, les propriétaires de barrages tiennent à démontrer à la population que tout est mis en œuvre pour assurer sa sécurité.

 

Chercheur : Claude Marche
Courriel : claude.marche@polymtl.ca
Téléphone : (514) 340-4711, poste 4801
Financement : Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, Hydro-Québec

 

 


 


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