Luc Brunet et André Savoie, professeurs de psychologie
du travail à l’Université de Montréal,
ne savaient pas trop à quoi s’attendre lorsqu’ils
se sont rendus dans une école où sept directeurs
en 10 ans avaient démissionné pour cause
de dépression majeure. Les entrevues qu’ils
ont réalisées avec les membres du personnel
les ont laissés pantois. « Quatre enseignants
avaient pris le contrôle de l’école,
se souvient Luc Brunet. Ils y avaient installé un
quasi-régime de terreur. Chaque fois qu’un
nouveau directeur était nommé, ils voulaient
sa tête. Les paris étaient ouverts : combien
de temps allait-il rester en poste? Les compères
s’assuraient que le directeur n’était
pas invité aux activités sociales, ils interceptaient
son courrier, ne lui adressaient pas la parole, etc. »
Durant les rencontres avec les psychologues de l’Université de
Montréal, certains jeunes professeurs tremblaient
de nervosité. Ils étaient terrifiés
par les répercussions de leurs aveux. Les quatre
enseignants rebelles exerçaient une pression considérable
sur l’ensemble du personnel. Quiconque se portait à la
défense du directeur subissait le même traitement
que celui-ci. Avec la recommandation de la mise en place
d’une direction plus ferme, les quatre professeurs
sont rentrés dans le rang et les choses ont repris
leur cours normal.
Les psychologues de l’Université reçoivent
de plus en plus de demandes pour régler ce type
de crise. « Autrefois, les comportements antisociaux étaient
tabous dans les organisations, se rappelle André Savoie.
Personne ne voulait en parler. Les entreprises préféraient
laver leur linge sale en famille. » En 1983, un premier
article soumis par M. Brunet à une revue scientifique
avait été refusé sous prétexte
que ce sujet n’intéressait personne.
Aujourd’hui, le phénomène éclate
au grand jour. Près de 40 organisations ont ouvert
leurs portes à Luc Brunet et André Savoie
en une décennie. Parmi elles, des PME, de grandes
entreprises, des écoles et des ministères.
En menant des entrevues et en distribuant des questionnaires
dans ces établissements, les psychologues y ont
relevé nombre de comportements antisociaux : harcèlement
verbal ou sexuel, vol, vandalisme, violence physique…
Un comportement antisocial peut être défini
comme tout acte qui vise à nuire à un individu
ou à l’organisation. Certains employés
omettent volontairement de transmettre des messages à un
collègue. D’autres lancent des rumeurs. D’autres
encore passent leur journée à utiliser Internet
ou le téléphone à des fins personnelles,
nuisant ainsi à la productivité de l’entreprise.
Selon les études de MM. Brunet et Savoie, aucune
organisation ne serait à l’abri des comportements
antisociaux. Pas même les communautés religieuses! « La
déviance n’est pas nécessairement acceptable,
mais elle est humaine, fait valoir M. Brunet. Une organisation,
c’est un peu un microcosme de notre société.
On y retrouve les mêmes rapports humains, les mêmes
tensions. »
Chercheurs : Luc Brunet et André Savoie
Téléphone : (514) 343-5733; (514) 343-2342
Courriel : luc.brunet@umontreal.ca; andre.savoie@umontreal.ca