Vingt-cinq personnes privées de l’usage
de la parole depuis la naissance participeront cette année à une
recherche visant à rendre plus faciles leurs communications
avec l’entourage. Les deux chercheuses responsables
de ce travail, Natacha Trudeau et Ann Sutton, sont en effet
convaincues qu’il est possible de mieux outiller
ces personnes, presque muettes.
Quelque 200 000 Canadiens souffrent d’une telle
déficience, parfois acquise mais plus souvent présente
dès la naissance. Sans être complètement
muets, puisqu’ils peuvent émettre des sons,
voire prononcer quelques mots, ils ne peuvent évidemment
pas se servir de la parole pour se faire comprendre dans
la vie de tous les jours. En revanche, leur ouie est intacte.
Il reste qu’un trouble moteur sérieux accompagne
fréquemment ce grave problème de la communication.
Au cours d’une recherche antérieure, Mme Sutton avait pu constater que les personnes aux prises
avec cette déficience n’avaient apparemment
pas la même flexibilité syntaxique que les
personnes dotées de l’usage de la parole.
Ainsi, un test consistait à demander à des
participants de reproduire, à l’aide d’idéogrammes,
des phrases simples mais nécessitant néanmoins
chez les locuteurs l’emploi d’une stratégie
pour se faire comprendre. La phrase était la suivante
: « La fille qui pousse le clown porte un chapeau. » De
petits personnages et des accessoires de Playmobil étaient
reproduits (à l’ordinateur ou sur des cartons),
soit une petite fille, une poussette, un chapeau et un
clown. Les gens en mesure de parler – 25 per-sonnes
- ont modifié l’ordre de la phrase en alignant « Fille
chapeau poussette clown », ce qui a donné « La
fille qui porte un chapeau pousse le clown ». Ils
ont donc eu recours à la stratégie de proximité des
mots. Les autres n’ont pas interverti l’ordre
initialement proposé et ont laissé le chapeau à la
fin de la phrase, quitte à répéter
le mot fille. Cela a donné : « La fille pousse
le clown. La fille porte un chapeau. »
Certains des participants éprouvaient des difficultés
motrices majeures et pouvaient mettre jusqu’à 45
secondes pour produire une seule image. Quelques-uns étaient
incapables d’utiliser leurs bras ou leurs jambes,
ou ne pouvaient se servir ni des uns ni des autres. Mais
le recours au moindre effort ne signifie pas pour autant
qu’il est impossible d’améliorer l’entraînement
des participants. Peut-être a-t-on négligé de
leur enseigner certaines compétences. Lesquelles?
En s’interrogeant sur l’importance de la représentation
du langage dans la capacité de communiquer autrement
que par la parole, Natacha Trudeau et Ann Sutton n’excluent
pas l’hypothèse que les personnes privées
de l’usage de la parole ne bénéficient
pas d’une éducation adéquate, notamment à cause
des idées préconçues ou des préjugés
relativement à leur capacité d’apprendre. « Lorsqu’on
a de la difficulté à comprendre un enfant,
on sous-estime ou surestime ses compétences. Mais
le plus juste sera notre vision, le mieux ça ira,
rappelle Ann Sutton. Et si cet enfant peut apprendre à lire
et à écrire, ça lui ouvrira des portes.»
Chercheuses : Natacha Trudeau et Ann Sutton
Téléphone : (514) 343-6111, poste 1643; (514)
343-7559
Courriel : natacha.trudeau@umontreal.ca; ann.sutton@umontreal.ca
Financement : Conseil de recherches en sciences humaines
du Canada